Risque chimique, de la traçabilité collective à la traçabilité individuelle des expositions

SANTE ET ENVIRONNEMENTS POLLUANTS || Risques chimiques / produits dangereux - CMR
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19/04/2024 - Sébastien MILLET

La prévention du risque chimique est l’un des axes prioritaire de la politique de l’Etat en matière de santé et sécurité au travail (cf. PST 4, action 2.1.)


Plus largement c’est un sujet de santé publique, qui touche à la santé environnementale et s’immisce dans le débat citoyen au regard des exigences de protectiond e la santé (signe des temps, une proposition de loi vient d’être adoptée le 4 avril 2024 sur l’encadrement des substances classées PFAS, autrement appelés « polluants éternels »).

En entreprise, la réglementation sur le risque chimique impose de nombreuses obligations particulières venant s’ajouter aux principes généraux de prévention.

Sans rentrer dans ce détail technique, l’un des enjeux porte sur la traçabilité des expositions afin d’assurer la prévention des risques et le suivi de l’état de santé individuel pendant la carrière, mais également après concernant les expositions les plus sensibles (cf. nouvelles règles de renforcement de la surveillance post-exposition et post-professionnel adossé au suivi individuel renforcé - décret n° 2022-372 du 16 mars 2022).

Il est question de prendre en considérations non seulement les expositions isolées, mais égalements les situations de polyexposition (cf. C. Trav., L4412-1 et R4412-6, 6° - cf. précédent article. )

Cette traçabilité s’organise pour l’employeur autour de 2 axes :

1°) Sur le plan collectif :

Le DUERP joue un rôle non exclusif, mais central (étant rappelé qu’il doit notamment comporter en annexe des données collectives utiles à l'évaluation des expositions individuelles aux facteurs de risques, ce qui vise notamment au titre de l’environnement physique agressif, les agents chimiques dangereux, y compris les poussières et les fumées – cf. C. Trav., R4121-1-1).

Des obligations particulières viennent s’ajouter en matière d’évaluationd es risques liés aux agents chimiques dangereux (C. Trav., R4412-5 s.) ou classés CMR (C. Trav., R4412-61 s.).

L’ANI du 9 décembre 2020, transposé par la loi du 2 août 2021, a d’ailleurs rappelé ce rôle pivot pour la traçabilité collective des expositions (C. Trav., L4121-3-1), tout particulièrement dans le domaine du risque chimique, notamment pour évaluer la polyexposition des salariés aux produits chimiques du fait de l’effet combiné qu’ils peuvent produire.

Ces évolutions devaient conduire à la mise en place d’une plateforme numérique dématérialisée pour gérer le dépôt des versions successives des DUERP et leurs conservation à long terme pendant au moins 40 ans, mais les difficultés de ce projet auront conduit à acter de facto l’abandon de la réforme (cf. Rapport IGAS du 6 décembre 2023 – précédent article ). Dans l’attente d’un remaniement du dispositiif par le législateur avec un possible fléchage de gestion par les SPST, les entreprises restent tenues d’assurer en interne cette conservation à des fins de traçabilité collective  (cf. C. Trav ., R4121-4).

 

2°) Sur le plan individuel :

Concernant l'exposition des travailleurs aux agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR, dont la liste est tenue à jour en lien avec la réglementation européenne), un décret n° 2024-307 du 4 avril 2024 vient notamment organiser un nouveau volet de traçabilité.

Les employeurs devront se mettre en conformité avec ces nouvelles prescriptions d’ici le 5 juillet 2024, ce qui est très court si tous les outils et procédures ne sont pas déjà en place. Ce sera l’occasion dans tous les cas de se mettre à niveau au regard des exigences minimales.

Dans ce cadre, les entreprises vont devoir :

  • Etablir une liste actualisée des travailleurs susceptibles d'être exposés aux agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction en tenant compte de l'évaluation des risques transcrite dans le DUERP.

    Cette liste devra indiquer (pour chaque travailleur) :
    • Les substances auxquelles il est susceptible d'être exposé ;
    • Les informations sur la nature, la durée et le degré de son exposition (lorsque ces données sont connues).
  • Tenir à disposition des travailleurs les informations de la liste qui les concernent personnellement.
  • Tenir à disposition des travailleurs et des membres de la délégation du personnel du CSE les informations de cette liste, sous format anonymisé.
  • Communiquer la liste et ses mises à jour au SPST, pour conservation pendant au moins 40 ans (les informations sont versées dans le dossier médical en santé -DMST).
  • Communiquer aux entreprises de travail temporaire les informations de la liste et de ses mises à jour concernant les intérimaires mis à disposition (à charge pour ces employeurs de les transmettre à leur propre SPST).

    cf. C. Trav., nouveaux articles R442-93-1 et suivants.

 

Sans revenir à l’ancien dispositif des fiches individuelles d’exposition, ce nouveau cadre doit contribuer à assurer une meilleure traçabilité au niveau individuel, pour les CMR. Ce volet avait en effet été affaibli dans le cadre des réformes successives dans le domaine de la pénibilité.